Nous sortons lentement du noir pour découvrir le visage de Giorgio, immobile, le front et les yeux couverts d'une étoffe noire. Sa main parcourt à tâtons le sombre tissu puis, dans un mouvement de panique, il l'arrache brutalement pour dégager ses yeux: le bandeau noir n'est qu'une compresse humide, sans doute déposée sur le visage de Giorgio pour faire tomber sa fièvre. Giorgio est allongé, tout habillé, dans un lit beaucoup trop petit pour lui. Nous remarquons qu'il se trouve dans l'une des petites chambres d'enfants... Assise à côté du lit, la bonne continue de fredonner la comptine en passant un fil à travers le chas d'une aiguille. Remarquant que Giorgio s'est réveillé et l'observe, elle interrompt son chantonnement et sourit:
LA BONNE (d'une voix très douce) Vous avez eu de la chance, le docteur Degrâce vous a trouvé sur le bord de la route ... (se levant, l'aiguille à la main:) Mettez votre pouce dans votre bouche.
GIORGIO Pourquoi?
LA BONNE Parce que les morts ne sucent pas leur pouce... et on dit qu'on ne coud que sur les morts.
La bonne se saisit délicatement de la main de Giorgio et la lui approche de la bouche. Giorgio se laisse faire et suce son pouce.
La bonne se penche sur la chemise entr'ouverte de Giorgio et commence à lui recoudre un bouton.
LA BONNE Surtout, ne bougez pas, je pourrais vous piquer... on a cru que vous alliez mourir, vous pouviez à peine respirer ... Heureusement, le docteur vous a fait une piqûre...
Effrayé, Giorgio retire son pouce de sa bouche et se redresse dans le lit.
GIORGIO Une piqûre? Comment ça, une piqûre?!
Giorgio remonte fébrilement l'une de ses manches pour examiner son bras.
LA BONNE (reculant, l'aiguille à la main) Je vous en prie, monsieur, calmez-vous.
GIORGIO Mais ... le docteur Degrâce est un peu ...
Giorgio agite la main près de sa tempe pour indiquer la folie.
LA BONNE oui, il est un peu ... (elle imite le geste de Giorgio) ... mais ça a été un grand médecin, vous savez!
Le regard affolé de Giorgio tombe sur une seringue posée sur la table de nuit.
GIORGIO Mais qu'est-ce qu'il m'a fait comme piqûre?
LA BONNE (Très douce) Je ne sais pas, monsieur. Mettez votre pouce dans votre bouche, allez...
Giorgio se laissé retomber sans force sur l'oreiller. Il remet son pouce dans sa bouche.
La bonne reprend sa couture.
GIORGIO (sans enlever son pouce de sa bouche) Qui joue du piano?
LA BONNE C'est monsieur Degrâce.
GIORGIO Mademoiselle Catherine est avec lui?
LA BONNE Elle est couchée, monsieur. Elle a pris quelque chose pour dormir. on enterre madame demain.
La bonne a terminé la couture du bouton. Elle coupe le fil avec ses dents. Puis elle prend délicatement la main de Giorgio et lui retire le pouce de la bouche.
LA BONNE voilà monsieur. Essayez de dormir ... Excusez-moi, je n'ai pas osé vous déshabiller.
La bonne s'éloigne vers la porte en emportant la lampe à pétrole.
GIORGIO S'il vous plait!
La bonne s'arrête et se retourne.
GIORGIO Laissez moi de la lumière.
LA BONNE (revenant vers Giorgio) Bien sûr, monsieur ...
Elle dépose la lampe sur la table de nuit et se retire.
LA BONNE (tout bas) Dormez bien! ...
68 INT, NUIT / ORPHELINAT - LA CHAMBRE D'ENFANT
Sur la table de chevet, la flamme de la lampe à pétrole n'est plus qu'une veilleuse qui éclaire à peine le visage de Giorgio endormi. Dehors le vent souffle, portant ses lointains hurlements de loups. A travers les murs, on perçoit les faibles gémissements d'une voix plaintive. Une voix de petite fille.
LA VOIX DE PETITE FILLE ... Maman ... maman...
Giorgio ouvre les yeux et reste un instant immobile, à écouter la plainte. Son regard parcourt la petite chambre plongée dans la pénombre. Deux petits lits vides, un petit pupitre et trois petites pèlerines accrochées à un portemanteau placé bas... Son regard s'arrête à la porte restée entr'ouverte sur le couloir. Giorgio se redresse et s'asseoit sur le bord du lit. Il monte la flamme de la lampe à pétrole. Puis il se lève...
69 INT. NUIT / ORPHELINAT - COULOIR
Giorgio sort de la chambre et referme précautionneusement la porte, en se baissant pour atteindre la petite poignée trop basse. il avance à tâtons dans le couloir obscur, la lampe à la main, guidé par la plainte qui se fait de plus en plus présente.
LA VOIX DE PETITE FILLE (gémissante) Maman... Maman...
Au fond du couloir, une porte entr'ouverte laisse filtrer un rai de lumière. Giorgio avance lentement en direction de cette pièce, d1oÙ semble s'échapper la plainte.
DOCTEUR DEGRACE (off) Tu sais, Maman ... Je peux bien te le dire, maintenant: j'étais caché sous l'escalier ...
Giorgio s'arrête devant la porte entr'ouverte:
70 INT. NUIT / ORPHELINAT / CHAMBRE DE MADAME DEGRACE (VUE DE LA PORTE)
Sur le lit un cercueil ouvert dans lequel repose madame Degrâce. Le docteur Degrâce, vêtu d'un très beau costume noir, est recroquevillé à côté de la bière. un oreiller maintient surélevée sa tête qui est coiffée de son chapeau.
LE DOCTEUR DEGRACE (suite) ... Et je l'ai vue, ta culotte ... C'est pour ça que j'ai demandé ta main... ta petite main froide!
L'avant bras de madame Degrâce est sorti du cercueil et le docteur Degrâce tient la main de sa femme comme un enfant la main de sa mère. C'est la main cireuse de madame Degrâce qui est refermée sur celle de son mari. La lueur des deux bougies placées de part et d'autre du lit éclaire le visage du docteur Degrâce. ses yeux grand ouverts sont tournés vers le plafond et des larmes coulent le long de ses joues.
LA VOIX DE LA PETITE FILLE (gémissante)... Maman ...
La plainte se poursuit, venant d'une autre pièce. Giorgio se détourne et repart dans le couloir...
71 INT, NUIT / ORPHELINAT / COULOIR
Giorgio fait deux pas puis s'arrête. Il revient vers la chambre de madame Degrâce, se baisse pour attraper la petite poignée et referme doucement la porte. Toujours guidé par la plainte, Giorgio se dirige vers une porte voisine. Les gémissements cessent aussitôt. Giorgio se baisse à nouveau pour atteindre la petite poignée qu'il tourne lentement, sans faire de bruit...
72 INT. NUIT / ORPHELINAT / NURSERY
... La porte s'ouvre sur Giorgio, sa lampe à la main. Au fond de la pièce, dans le halo orangé d'une bougie, la bonne, en chemise de nuit, est assise, la tête penchée sur Catherine qu'elle tient dans ses bras, le visage appuyé contre son sein. Catherine, vêtue elle aussi d'une chemise de nuit, est assise à cheval sur l'un des genoux de la bonne. ((L'architecture formée par ces deux corps vêtus de blanc donne, dans la lumière vacillante de la bougie, une impression fantomatique. )) Brusquement, la bonne et Catherine tournent 1a tête en direction de Giorgio avec, un court instant, l'expression de deux animaux traqués.
GIORGIO (gêné) Pardon ... Je croyais que...
La bonne remonte aussitôt le col de sa chemise de nuit pour cacher son sein.
CATHERINE Non, restez ... approchez ...
((Giorgio s'avance lentement. Catherine, comme désarticulée, se laisse doucement glisser le long du corps de la bonne, ce qui fait remonter sa chemise de nuit haut sur ses cuisses.))
CATHERINE On est venu vous regarder dormir, avec marie, tout à l'heure ...
La bonne détourne la tête en baissant les yeux.
CATHERINE ... Souvent ... avant ... la nuit... j'allais regarder les enfants dormir... c'est joli un enfant qui dort... on dirait des poupées...
Giorgio s'est arrêté devant les deux femmes.
GIORGIO ... oui, c'est vrai.
Il fixe Catherine, qui le regarde le visage penché sur le côté, les lèvres de la jeune fille sont entr'ouvertes et légèrement humides. une petite goutte blanche, du lait, quitte la commissure de sa bouche ((et glisse le long de son menton.))
CATHERINE (riant) Je vous ai volé deux sucres d'orge, hein Marie?
La bonne acquiesce sans détacher ses yeux du sol.
CATHERINE Qu'est?ce que vous allez faire de tous ces bonbons?
GIORGIO : Je ne sais pas ... Si vous voulez, je vous les donne...
CATHERINE Oh oui! Comme ça, on pourrait les faire fondre et on ferait des petits gâteaux de sucre!
GIORGIO Oui ... c'est une bonne idée...
La bonne rabaisse la chemise de nuit de Catherine remontée trop haut sur ses cuisses. Mais Catherine la relève par à-coups, en remuant nerveusement sa jambe, comme si elle n'y prêtait pas attention.
CATHERINE Je vous ai dit que vous embrassiez mal, l'autre jour... C'était pas vrai... C'était pour vous faire de la peine...
Giorgio jette un coup d'œil à la bonne qui ne le regarde toujours pas. Il est pris d'une quinte de toux. Son poumon se met à siffler à chacune de ses inspirations.
GIORGIO Je... je vais retourner me coucher.
Giorgio reste un instant immobile. Le sifflement de sa respiration se fait plus intense.
CATHERINE (émerveillée) On dirait un oiseau ... Tu entends, marie?
La bonne enlace la tête de Catherine et lui caresse les cheveux.
LA BONNE (avec Tendresse) Il faut retourner vous coucher, mademoiselle, il est si tard ...
GIORGIO Bonsoir ...
Giorgio tourne les talons et s'éloigne ...
73 INTNUIT / ORPHELINAT / COULOIR
((Giorgio sort de la nursery et referme la porte, comme toutes les autres, en se baissant pour atteindre la petite poignée basse. La faible flamme de sa lampe à pétrole se met à vaciller... puis s'éteint. L'obscurité est totale.
GIORGIO Merde! ...
Dans le noir, on entend sa respiration sifflante ...))
74 EXTJOUR / ORPHELINAT
Quatre paysannes vêtues de noir sortent de la maison en portant le cercueil de madame Degrâce. Elles se dirigent vers une charrette attelée à un cheval noir, celui de Giorgio. De part et d'autre de la charrette se tiennent le prêtre, la bonne, et Catherine qui porte chapeau et voile noir lui couvrant le Visage. Les quatre femmes hissent le cercueil sur la charrette lorsque le regard du prêtre est attiré vers la porte de l'orphelinat: Giorg1o sort, emmitouflé dans son manteau. Il salue le prêtre d'un discret mouvement de tête. Le prêtre contemple Giorgio en fronçant les sourcils Il se tourne vers la bonne et lui parle à l'oreille. La bonne lui répond en étayant ses propos de quelques mouvements de mains. Alors que Giorgio s'approche de la charrette, la bonne vient à sa rencontre.
LA BONNE J'espère que ça ne vous ennuie pas, monsieur... On s'est permis de prendre votre cheval parce qu'il est plus beau que les autres.
Le prêtre, Catherine et les quatre paysannes se regroupent derrière la charrette, face au cercueil.
GIORGIO (à la bonne, tout bas) Le docteur Degrâce ne vient pas?
LA BONNE Non, monsieur, il ne veut plus voir personne... mais surtout, ne dites pas qu'il est revenu... Ca ferait que du malheur...
La bonne rejoint le petit groupe. Giorgio reste légèrement en retrait.
LE PRÊTRE (à Cous) Recueillons nous un instant devant la dépouille d'Élisabeth, Françoise, Jeanne, Marie Degrâce, qui s'apprête à quitter sa demeure pour aller rejoindre .celle des morts.
Chacun baisse la tête pour se recueillir en silence. Derrière l'assemblée, Giorgio perçoit, en provenance de l'orphelinat, le son ténu de petits coups frappés contre une vitre avec l'ongle ... il se retourne vers la maison pour découvrir. Derrière l'une des fenêtres du rez-de-chaussée, le docteur Degrâce. Le vieil homme lui sourit en lui faisant un petit bonjour de la main. Giorgio lui répond d'un bref mouvement de tête accompagné d'un léger sourire. Puis il ramène son regard vers le groupe, comme pour s'assurer que personne n'a surpris son échange avec le docteur. Les petits coups d'ongle se font à nouveau entendre contre la vitre. Giorgio se tourne à nouveau vers le docteur. Derrière sa fenêtre, il lui fait encore "bonjour" de la main. Giorgio lui fait signe de ne plus faire de bruit en mettant un doigt sur sa bouche. Le docteur fait alors comprendre à Giorgio, à l'aide de petits signes insistants, qu'il doit fouiller dans l'une des poches de son manteau. N'étant pas sûr de bien comprendre, Giorgio désigne l'une de ses poches au docteur. Le docteur Degrâce acquiesce avec de grands sourires. Giorgio plonge alors la main dans la poche de son manteau et, à sa grande stupeur, en retire une "langue de belle-mère".(ces objets de fête dans lesquels on souffle et qui se déroulent comme des langues de caméléon avant de se rétracter). L'objet à la main, Giorgio jette un coup d'œil inquiet vers le groupe: Les visages, en prière, sont toujours baissés... Giorgio se tourne à nouveau vers le docteur et lui signifie son incompréhension d'un haussement: d'épaules. mettant sa main en cornet devant sa bouche, le vieil homme fait signe à Giorgio de souffler dans la langue de belle-mère. Giorgio, perplexe, regarde l'embout de l'objet, puis à nouveau le docteur Degrâce. Celui-ci insiste pour qu'il souffle, s'énervant tout seul derrière sa fenêtre. Giorgio porte l'objet à sa bouche et souffle timidement: la langue de belle-mère se déroule lentement, dans un parfait silence. A l'instant où il la retire de sa bouche, la langue de belle-mère se rétracte à toute vitesse, produisant un sifflement strident. Tout le monde se retourne vers Giorgio... Giorgio reste figé, la langue de belle-mère à la main. Derrière son voile noir, Catherine éclate d'un petit rire bref. Très gêné, Giorgio triture un instant sa langue de belle-mère et la range dans sa poche. Le prêtre, l'œil sombre tourné vers Giorgio, clôt la prière en se signant, imité par tous les membres du groupe.
LE PRÊTRE Amen!
L'ASSEMBLÉE ... Amen!
Giorgio se signe en se tournant vers la fenêtre de l'orphelinat. Le docteur Degrâce n'y est plus...
75. EXT JOUR / ROUTE CIMETIÈRE / ÉGLISE
Une légère brume, un ciel plombé, un paysage blanc à perte de vue... L'une des quatre paysannes conduit le cheval de Giorgio en le tirant par la bride. Derrière la charrette?corbillard, Catherine avance, tête baissée, le bras droit enlacé à celui de la bonne, le bras gauche à celui du prêtre. Derrière eux, les trois autres paysannes et Giorgio. Le bruit des sabots, des pas et des roues, étouffé par la neige, donne quelque chose d'irréel au petit cortège... Une des paysannes se rapproche de Giorgio:
LA PAYSANNE (tout bas) Dites, Docteur, vous qui revenez de la guerre, vous n'auriez pas connu un Julien Ferrauge?
GIORGIO Non.
LA PAYSANNE (déçue) Ah... c'est que vous n'étiez pas dans les Balkans, alors...
GIORGIO Non...
LA PAXSANNE (presque à elle-même, dodelinant de la tête) ... parce que, d'habitude, on le remarque mon gars!
Giorgio a les yeux fixés sur le dos de Catherine qui marche devant lui.
Comme si elle sentait son regard, la jeune fille tourne son visage voilé vers Giorgio.
Giorgio lui esquisse un sourire.
Catherine ramène son regard devant elle. ((Les yeux de Giorgio parcourent alors le corps de la frêle silhouette noire pour s'arrêter sur ses mollets: des mollets de jeune fille, fins et gracieux, ornés de bas noirs ...))
EXT. JOUR / DEVANT L'ÉGLISE
Des femmes du village attendent, immobiles, devant l'église. Leurs gros lainages sombres sont fouettés par le vent. A leur tête, la mère Pétaud, pipe à la bouche, bras croisés. A côté d'elle, Marthe, son amie, bras croisés elle aussi. Le petit cortège funèbre arrive en vue du groupe de paysannes. Brusquement, le cheval rue et se cabre. La femme qui conduisait l'animal tire de toutes ses forces sur la bride. Mais il refuse d'avancer. Giorgio court alors jusqu'au cheval.
GIORGIO (prenant la bride) Allez!...Allez, avance!
Le cheval refuse obstinément de repartir, laissant le petit cortège à une dizaine de mètres du groupe de femmes.
LA MÈRE PETAUD (criant vers le cortège) Vous voyez bien qu'il veut pas l'emmener!
Le curé lâche aussitôt le bras de Catherine et s'avance de quelques pas:
LE PRÊTRE Qu'est ce que tu racontes, Héloïse?
LA MÈRE PETAUD Si la morte ne veut pas partir, c'est qu'elle reviendra! (et que son âme ne sera jamais en paix a été ajouté au tournage.)
MARTHE Si le Seigneur en veut pas, c'est qu'elle est pas morte en chrétienne!
LE PRÊTRE Mais qu'est?ce que vous en savez, d'abord!
La mère Pétaud ôte sa pipe de sa bouche et s'en sert pour désigner l'une des paysannes du cortège.
LA MÈRE PETAUD Dis-y, Josette! Dis-y ce que t'as vu!
Josette, debout à côté du cheval, secoue la tête en regardant le sol:
JOSETTE J'ai rien vu! J'ai rien vu!
LA MÈRE PETAUD (criant plus fort) Tu vas aussi dire que c'est pas toi qui l'as mise dans le cercueil?!
JOSETTE (piquée au vif) Si, c'est moi qui l'a mis dans le cercueil! Mais j'ai rien vu!
MARTHE Dis-y Josette! Dis-y !
LA MÈRE PETAUD (désignant l'église) Tu mentirais devant la Croix?! ... Allez, dis-y Josette! (En français la croix a été traduit par "la maison du seigneur")
JOSETTE (apeurée, pleine de tics) ... J'y ai soulevé le ruban qu'elle avait autour du cou ... dessous, c'était tout noir!
Toutes les femmes se signent. Tout en tapotant le museau de son cheval, Giorgio observe ces femmes d'un air inquiet. La mère Pétaud désigne le corbillard d'un doigt sentencieux:
LA MÈRE PETAUD Elle s'est pendue, c' te femme!...Hein, Docteur?!
La bonne lâche le bras de Catherine et court jusque devant le cheval pour hurler en direction de la mère Pétaud:
LA BONNE Menteuse! Menteuse!
Puis elle éclate en sanglots, cachant sa tête entre ses mains.
LE PRÊTRE (à la mère Pétaud) Pour qui donc tu te prends, Héloïse, hein?
Catherine a quitté sa place, derrière la charrette, et elle s'avance tête haute, le visage toujours caché de son voile noir. Alors qu'elle passe devant le cheval, Giorgio la retient par le bras:
GIORGIO Laissez, je vais aller leur parler ...
Catherine dégage violemment son bras.
CATHERINE (très durement) vous, mêlez-vous de ce qui vous regarde!
LE PRÊTRE Catherine, reste ici!
Catherine poursuit sa route en direction des femmes. En passant devant la bonne en larmes, elle lui donne une grande claque derrière la tête:
CATHERINE Arrête de pleurer, toi!
LE PRÊTRE Catherine!''
Catherine s'arrête. Elle se retourne vers le prêtre et Giorgio en relevant son voile par dessus son chapeau avec un air de défi:
CATHERINE C'est MA mère qui est morte!
Elle virevolte et avance vers la mère Pétaud, le regard haineux. Dans le groupe des femmes, une vieille donne un coup de coude à sa voisine:
LA VIEILLE Attention, v,'là la folle!
Quelques femmes reculent.
LE PRÊTRE (off) Catherine! Reviens ici tout de suite!
Giorgio lâche la bride du cheval et fait un pas, prêt à intervenir. Le prêtre le retient par le bras.
Un silence général laisse place au bruit du fond qui fait flotter les robes et les châles ...
Catherine s'arrête devant la mère Pétaud, laquelle regarde la jeune fille en tirant tranquillement sur sa pipe.
CATHERINE Alors, comme ça, elle s'est pendue, ma mère?
LA MÈRE PETAUD Tu le sais bien ... et en plus, c'est à cause de toi ...
D'une violente gifle, la main de Catherine arrache la pipe de la bouche de la mère Pétaud. Tétanisée, la mère Pétaud ne bouge pas. Du sang jaillit de ses lèvres. La mâchoire tremblante, elle porte la main à sa bouche et en retire une dent qu'elle regarde avec effroi.
LA MÈRE PETAUD (balbutiant, la bouche pleine de sang) ((Salope! ... Sale truie! ...)) C'est comme pour ton père qu'a payé à ta place quand t'a noyé les petits!
un rictus de souffrance déforme les lèvres de Catherine. Elle décoche un terrible coup de pied dans les jambes de la mère Pétaud qui pousse un hurlement en s'effondrant dans la neige... Giorgio se précipite vers le groupe de femmes, suivi du prêtre claudiquant. Catherine redresse la tête et, hautaine, se dirige vers l'entrée de l'église. Les femmes s'écartent sur son, passage.
LA BONNE (off. hurlant) Mademoiselle!
La bonne arrive à toute allure vers les femmes ... Sur le seuil de l'église, Catherine se retourne:
CATHERINE (à l'assemblée des femmes) Vous ne voulez pas enterrer ma mère?
Elle se jette à l'intérieur de l'église. Alors que la bonne passe à toute allure au milieu des femmes pour rejoindre Catherine, l'une d'elles lui 'envoie un coup de coude dans le ventre. marie tombe à genoux, le souffle coupé. Les femmes se regardent entre elles tandis que la mère Pétaud continue de geindre, assise dans la neige, réconfortée par son amie Marthe.
LA MÈRE PETAUD (сlans un râle) Elle m'a éclaté une varice!
Giorgio rejoint la bonne, tandis que le prêtre rejoint la mère Pétaud. A cet instant, une femme sort de l'église en hurlant:
LA FEMME (paniquée) Elle a soufflé les cierges! Tous les cierges!
Des cris, des hurlements, jaillissent de part et d'autre. Marthe en tête, des femmes se précipitent dans l'église comme des furies.Giorgio et le prêtre essayent de les suivre mais les femmes referment la porte de l'église sur eux. On entend la clef tourner dans la serrure. Giorgio essaye de pousser la porte, en vain. Le prêtre frappe à coup de poings contre le bois en criant:
LE PRÊTRE ouvrez-moi cette porte tout de suite! Tu m'entends Yvonne? (il refrappe de plus bel) ouvrez bon Dieu! Marthe!
Des bruits de chaises renversées, d'objets cassés, des cris d'hystérie et des cris de douleur résonnent à l'intérieur de l'église ... Le prêtre court vers le cimetière:
LE PRÊTRE Je vais passer par la porte du cimetière!
Un hurlement plus fort que les autres traverse l'église. Giorgio se rue violemment contre la porte pour la défoncer. Il finit par la faire céder d'un grand coup de pied... (Dans le film la porte cède suite à un coup d'épaule.)
77 INT. JOUR / ÉGLISE
Giorgio franchit la porte. Le pavé de l'église est jonchée de prie-Dieu et de chaises renversés. Au fond, près de l'autel, les femmes forment un cercle compact. Giorgio se précipite vers elles, sautant et butant sur les objets renversés.
GIORGIO Arrêtez!
il se fraye violemment un passage à travers les femmes pour découvrir Catherine. Elle est étendue par terre comme un pantin désarticulé, la tête rejetée en arrière sur une des marches de l'autel. Son visage inanimé est couvert de sang, sa robe à moitié déchirée. Giorgio s'agenouille devant le corps inerte. Les mains hésitantes, il frôle les cheveux de la jeune fille.
GIORGIO (appelant tout bas) Catherine!...Catherine! ...
Les yeux de Catherine s'ouvrent lentement sur Giorgio.
CATHERINE (dans un murmure) De toutes façons ... j'ai même pas mal ...
...Sa bouche se met à trembler et elle fond en larmes. Giorgio relève brutalement la tête pour scruter l'assemblée des femmes qui le regardent, immobiles et silencieuses. Ses yeux s'arrêtent sur Marthe dont la joue est légèrement griffée. L'une de ses mains, rouge de sang, est crispée sur une touffe de cheveux de la couleur de ceux de Catherine. voyant le regard de Giorgio, Marthe dissimule sa main dans son dos. Giorgio se lève et avance vers elle, le regard fou ... Marthe recule. Giorgio dégage à coups de pieds les chaises qui encombrent son chemin. Les femmes s'écartent ...
LE PRÊTRE (off)
Ca suffit!
Giorgio s'arrête, sans quitter Marthe des yeux. Le prêtre vient d'entrer par la petite porte qui donne sur le cimetière. Il avance en boitant vers le chœur. Marthe s'enfuit vers la sortie de l'église.
LE PRÊTRE (hors de lui) Qu'est-ce que vous avez fait!
UNE FEMME Elle a soufflé tous les cierges.
Le prêtre jette machinalement un coup d'œil en direction des cierges éteints qui fument encore.
LE PRÊTRE (pointant le doigt vers la sortie) Dehors! Dehors!!!
Les femmes reculent lentement en se dirigeant vers la porte.
LE PRÊTRE ... Et remerciez le Seigneur que vos maris et vos enfants n'aient pas été là pour voir ça!
Достарыңызбен бөлісу: |