Giorgio est revenu s'agenouiller près de Catherine. Il lui redresse doucement la tête en lui maintenant délicatement le cou. Les femmes finissent de quitter l'église. Le prêtre se saisit d'une grosse boite d'allumette et commence à rallumer les cierges d'une main tremblante ... Tout à coup, il aperçoit quelque chose, par terre, derrière l'autel.
LE PRÊTRE Oh mon Dieu ...
Il souffle l'allumette qui lui brûle les doigts puis se dirige rapidement vers l'autel et se baisse. Dans l'ombre du chœur, entre deux chaises renversées gît, au pied de sa croix, la tête du grand Christ de plâtre. Le prêtre la ramasse. Puis, le regard perdu, il avance vers le milieu de l'église en traînant la jambe, la tête du Christ dans les mains ...Giorgio se relève en portant Catherine à moitié inerte dans ses bras. Titubante, trainant les pieds, la bonne entre dans l'église, les bras crispées sur son ventre, les cheveux défaits. Le prêtre se retourne vers le chœur: ((Giorgio contemple Catherine immobile dans ses bras. Leurs visages sont si proches que leurs lèvres semblent sur le point de se toucher. Au-dessus d'eux se dresse le Christ dont un rayon de lumière effleure le grand corps décapité. Giorgio repose doucement Catherine sur ses jambes.))))))
GIORGIO Vous allez pouvoir marcher?
CATHERINE (en état de choc) Oui, je crois ...
Elle fait quelques pas, soutenue par Giorgio.
CATHERINE Je veux rentrer avec Marie.
La bonne étreint Catherine.
GIORGIO (à Marie) Ramenez-là.
La bonne s'éloigne avec Catherine. Giorgio et le prêtre se regardent en silence.
78 EXT, FIN DE JOURNÉE/CIMETIÈRE
Un léger vent balaie le petit cimetière enneigé. Le prêtre se tient face à Giorgio, devant la tombe ouverte de madame Degrâce. Le cercueil est posé à côté du trou. Non loin, la tombe des enfants, surmontées de ses douze petites croix. A l'extérieur du cimetière, derrière le petit mur de pierres, les femmes assistent en silence à la cérémonie. Le prêtre termine une prière, un missel ouvert dans les mains:
LE PRÊTRE ... N'abandonnez pas, Seigneur, Elisabeth, Françoise, Jeanne, marie Degrâce ... Souvenez-vous, dans votre miséricorde, de sa bonté, de ce qu'elle a fait pour ces enfants que vous avez préféré rappeler à vous, pour des raisons qui sont forcément bonnes puisqu'elles sont les vôtres, mais qui lui ont causé tant de malheur ... Amen.
Le prêtre se signe, imité par Giorgio. A l'extérieur du cimetière, 1?es femmes se signent également. Le prêtre referme son missel en le faisant claquer dans ses mains. Il fixe Giorgio:
LE PRÊTRE (grave) Après ce que la petite a fait, elle peut plus rester ici. Il faut l'emmener à Ste Lucie.
GIORGIO Vous savez ce que c'est qu'un asile, mon père ? (Dans le film Giorgino interroge par la négative.)
LE PRÊTRE vous ne savez pas jusqu'où peut aller la colère des femmes. (après un silence:) ... Vous avez eu des nouvelles de son père, là-bas?
GIORGI0 (gêné) Non ... Il est sans doute mort.
LE PRÊTRE Je m'en doutais un peu ... Pauvre homme! Je dirai une messe pour lui.
Giorgio tourne les talons en direction de la porte du cimetière.
LE PRÊTRE Docteur!
Giorgio se retourne.
LE PRÊTRE Pourquoi vous êtes revenu? ... Allez vous-en!
Giorgio le fixe sans répondre.
LE PRETRE Je dirai aux femmes que vous êtes revenu pour emmener la petite à Ste Lucie.
GIORGIO (s'éloignant) Comme vous voudrez, mon père.
Le prêtre fait un signe en direction du groupe des femmes et deux d'entre elles pénètrent dans le cimetière avec des pelles. Elles croisent Giorgio sans le regarder, la tête baissée.
79 EXT. FIN DE JOURNÉE/ DEVANT LE CIMETIÈRE
... Giorgio sort du cimetière. Devant la porte, les femmes s'écartent pour le laisser passer. Giorgio avance en détaillant tous ces visages qui l'observent en silence. Le vent agite les vêtements et les cheveux. ((Giorgio remarque, de l'autre côté de la route, assise sur un tas de pierres, la mère Pétaud, courbée sur sa jambe meurtrie. Marthe se tient debout à côté d'elle et regarde Giorgio avec un mélange de haine et de crainte. Après avoir jeté un dernier regard aux autres femmes, Giorgio se dirige vers la mère Pétaud. Marthe fait un pas en arrière, les poings serrés, prête à se défendre. Giorgio vient s'agenouiller aux pieds de la mère Pétaud. Il lui enlève délicatement la main qu'elle tient refermée sur sa jambe. Puis il examine une blessure qui transparaît d'une déchirure de son bas de laine. La mère Pétaud se laisse faire sans broncher.
GIORGIO (traçant: la plaie) La jambe n'est pas cassée, ce ne sera rien ...
Giorgio se relève et s'éloigne ... ))
80 EXT, FIN DE JOUR ROUTE ORPHELINAT
Le vent souffle. Giorgio, épuisé, marche tête basse, les mains dans les poches de son manteau. Il porte la main à sa poitrine et se tord dans une quinte de toux. Il redresse la tête, regarde la route devant lui. Une carriole arrive à vive allure, mais tout semble ralenti. On n'entend que le bruit du vent ... une vieille femme conduit la carriole (celle vue au calvaire). ((Elle salue Giorgio d'un signe de main au moment où elle le croise. Giorgio se retourne pour suivre la carriole des yeux.)) Assis à l'arrière, les jambes pendant dans le vide, on reconnaît le petit garçon vêtu de noir qui ramassait le chapeau de Giorgio sur la route de Ste Lucie. L'enfant au visage monstrueux tient toujours sa lanterne à la main et porte sur la tête le chapeau de Giorgio. Il salue Giorgio en élevant lentement au-dessus de sa tête le chapeau trop grand pour lui. L'enfant fixe Giorgio de ses yeux sans expression ... Giorgio le regarde s'éloigner sur la carriole, tandis que monte la musique d'un piano ...
81 INT, SOIR/ ORPHELINAT
Assis au piano, le docteur Degrâce tape avec exubérance sur le clavier les notes de la petite comptine qu'il chantonne:
DR, DEGRACE "Do, ré, mi, fa, sol, Toutes les femmes sont folles, Excepté ma bonne, Qui fait des tartes aux pommes"(Ad.Lib.)
Giorgio vient d'entrer. Il contemple le docteur, les mains dans les poches de son manteau. Il est essoufflé, son visage est pâle et fatigué. Le docteur Degrâce remarque Giorgio et arrête de jouer.
DR, DEGRACE Dieu que vous êtes pâle!
GIORGIO Je vais ... m'asseoir un instant ...
Giorgio fait quelques pas fébriles et se laisse tomber dans un fauteuil tout en dégrafant son manteau. Le docteur Degrâce quitte le piano et se dirige vers une petite commode. Il trifouille dans un tiroir.
DR, DEGRACE (off) Relevez-moi votre manche ...
Le regard éteint, Giorgio ne réagit pas. Le docteur Degrâce arrive auprès de lui et lui remonte une manche au-dessus du coude.
DR, DEGRACE (examinant le bras de Giorgio) ... Tous ces trous ... Quel acharnement à vivre!
Le vieil homme pose un garrot sur le bras de Giorgio qui se laisse faire sans la moindre résistance ... Le docteur Degrâce s'est assis sur une chaise, à côté de lui. Il remplit une seringue.
GIORGIO (sans voix) Docteur ... vous vous souvenez des enfants?
Le docteur Degrâce fixe la seringue dont il fait jaillir un peu de produit.
DR. DEGRACE Soyez tranquille, Elisabeth est avec eux, maintenant ...
Le vieil homme pique le bras de Giorgio qui grimace. Il continue de parler tout en injectant le produit:
DR. DEGRACE ... Elle ne supportait plus d'entendre leur petite tête cogner contre la glace ... Dans le vent du soir, elle n'écoutait que leurs sanglots au milieu des loups ...
Il retire la seringue du bras de Giorgio. Puis il lui applique une petite compresse. Il se lève et se dirige vers une petite table devant la fenêtre où il range son matériel. Derrière la fenêtre, à l'extérieur, dans le soir qui tombe, se tient la silhouette immobile de la bonne qui les regarde...
DR. DEGRACE ... Alors elle est partie ... Est-ce que je vous ai dit que les enfants l'appelaient maman? ... Moi aussi d'ailleurs ... (il rit, main devant la bouche, gêné) Vous ne trouvez pas ça ridicule, j'espère? ... Tu sais, Giorgino, les hommes sont des enfants!
Giorgio, intrigué, redresse lentement la tête vers le docteur:
GIORGIO
Pourquoi m'avez-vous appelé Giorgino?
DR. DEGRACE surpris) votre mère ne vous appelait pas Giorgino?
Giorgio laisse retomber son regard vers le sol et, comme s'il se souvenait, acquiesce. A cet instant, son visage se couvre d'ombre, tandis qu'on entend le grincement d'un volet qu'on rabat ... Derrière la fenêtre, la bonne rabat le second battant du volet, plongeant la pièce dans l'obscurité. Devant cette même fenêtre, le docteur Degrâce se penche pour allumer la mèche d'une lampe à pétrole. Il revient vers Giorgio avec la lampe.
GIORGIO ... Comment se fait-il qu'aucun enfant n'ait pu se raccrocher à la berge?
DR. DEGRACE (écarquillant les yeux) Les loups!
GIORGIO Vous savez bien qu'il n'y a jamais eu de loup, ici.
Le docteur Degrâce sort alors de la poche intérieure de sa veste un paquet de feuilles qu'il tend à Giorgio :
DR. DEGRACE Et ça!
Giorgio prend les feuilles: ce sont les dessins de loups qu'il a ramené de Ste Lucie.
GIORGIO
ce ne sont que des dessins.
DR. DEGRACE (hautain) Ah oui? Alors comment expliquez-vous qu'aucun enfant n'ait pu remonter sur la berge.?
GIORGIO (à lui-même)
Le froid ... oui, sans doute le froid ...
Le vieil homme hausse les épaules et arrache les dessins des mains de Giorgio:
DR. DEGRACE (les yeux au ciel) Ha! vous êtes bien naïf ! ... Donnez-moi la main ...
Degrâce tend la main à Giorgio et le tire hors de son fauteuil ...
82 INT, NUIT ORPHELINAT ESCALIER COULOIR
Muni de la lampe à pétrole, le docteur Degrâce grimpe l'escalier en tirant Giorgio par la main.
DR. DEGRACE (chuchotant, émerveillé) ... Quand le marais les a rendus, on aurait dit douze petits nénuphars
violets dans leur corolle noire. Ils étaient si beaux que les oiseaux chantaient ... J'ai cru que c'était le retour du printemps!
Les deux hommes longent le couloir.
DR. DEGRACE ... Alors je les ai sortis de l'eau, un par un ...
Le docteur Degrâce ouvre l'une des petites portes. Il lâche la main de Giorgio pour désigner l'intérieur de la pièce obscure:
DR. DEGRACE
... Et je les ai tous allongés là, les uns à côté des autres! ...
83 INT, NUIT / ORPHELINAT - CHAMBRE DE CATHERINE Le docteur pénètre dans la pièce, suivi de Giorgio.
((Giorgio fronce les sourcils en renif1ant l'air, comme si une forte odeur régnait dans la chambre. )))La faible lueur de la lampe du docteur éclaire à peine une rangée de petits lits. L'un d'eux est couvert d'un drap blanc sous lequel se dessine la forme d'un corps.
DR. DEGRACE ... Mon Dieu! Comme leur petite chair était abîmée ...
Le docteur Degrâce s'approche du lit, accompagné de Giorgio. Il se penche et frôle d'une main tremblante le relief du drap:
DR. DEGRACE ... J'ai cru un instant qu'ils respiraient encore ... Mais non! (il saisit le drap) ... Ils étaient déjà à moitié décomposés!
A cet instant, le docteur Degrâce soulève le drap, découvrant le corps de Catherine. La chemise de nuit de la jeune fille est remontée jusqu'à la cambrure de ses reins et l'une de ses jambes masque à peine son intimité. Sa chair est pâle et soyeuse dans la lumière vacillante de la lampe à pétrole. ((L'arrondi d'un sein émerge de son décolleté. Son visage, en partie caché par sa chevelure est tachée de quelques ecchymoses. ))Inerte, elle suce son pouce. Giorgio contemple le corps de Catherine avec effroi. Le docteur Degrâce se saisit de la main de sa fille et lui retire le pouce de la bouche pour reposer le bras le long du corps.
DR. DEGRACE
Pauvre petite chose! ... C'est sa mère qui lui manque
... Les lèvres de la jeune fille ne se referment pas. Giorgio se met à tousser. Pris d'étouffement, il se précipite jusqu'à la fenêtre qu'il ouvre toute grande.
LA BONNE (off) Qu'est-ce qui se passe?!
GIORGIO (tout bas) Aidez-moi, Seigneur ... S'il vous plait ... (relevant la tête vers le ciel) ... S'il vous plait ...
(Cette phrase a été montée plus loin dans le film, lorsque la bonne sort avec le docteur Degrâce.) La bonne vient d'entrer dans la chambre. Voyant le corps à moitié nu de Catherine, elle court vers le lit et rabat le drap sur la jeune fille.
LA BONNE (inquiète) Qu'est-ce que c'est que ça!?
Elle s'empare d'une petite bouteille ouverte posée sur la table de chevet. Elle la renifle. Sur l'étiquette, nous lisons le mot "Ether". Furieuse, la bonne se tourne vers le docteur Degrâce.
LA BONNE C'est vous qui lui avez donné cette bouteille?
DR. DEGRACE (comme un enfant pris en faute) Nooon!! ...
LA BONNE venez, je vais vous coucher, maintenant!
La bonne prend le vieil homme par la main et l'entraîne hors de la chambre ... Devant la fenêtre ouverte, par où s'engouffre le vent et le hurlement des loups, Giorgio contemple le visage inerte de Catherine. Soudain, la jeune fille inspire fortement et, sans se réveiller, remet son pouce dans sa bouche. Giorgio ramène son visage vers l'extérieur et inspire lui aussi fortement.
84 MI-NUIT ORPHELINAT CHAMBRE
Son manteau sur les épaules, Giorgio est enfoncé dans un fauteuil, à côté du lit de Catherine. La tête penchée en avant, il dort. Le bruit lointain de quelque chose qui tombe dans 1'eau se fait entendre ... Giorgio ouvre les yeux en redressant la tête. Il écoute un instant le silence de la maison, le regard posé sur Catherine endormie dont le visage est enfoui dans la chevelure. Un bruit de pas fait craquer le plancher, quelque part dans la maison. Giorgio se lève, s'empare de la lampe à pétrole posée sur la table de chevet, en remonte la flamme, et sort dans le couloir sans faire de bruit...
85 INT, NUIT ORPHELINAT COULOIR
... Giorgio avance lentement dans le couloir désert, guettant le moindre bruit.
((GIORGIO (appelant tout bas) marie! marie, c'est vous ... ?
Un craquement le fait se retourner. Il se dirige vers le fond du couloir ... Giorgio ouvre une porte:
86 INT, NUIT / ORPHELINAT / CHAMBRE BONNE (VUE DE LA PORTE)
Dans son lit, la tête rejetée en arrière sur le bord du matelas, Marie dort d'un sommeil profond et sonore. A côté du lit, posés sur le dossier d'une chaise, deux gros bas de laine et une large culotte.
GIORGIO (appelant tout bas) Marie! ... Marie ...
La bonne ne se réveille pas. Giorgio tourne la tête vers le couloir en entendant le son d'une porte ou d'un volet qui claque dans le vent...
87 INT, 1TUIT / ORPHELINAT / ESCALIER + HALL D'ENTRÉE
... Giorgio descend l'escalier jusque dans le hall. La porte d'entrée restée entr'ouverte claque dans le vent, laissant pénétrer quelques flocons de neige. Giorgio jette un rapide coup d'œil au dehors avant de refermer la porte. Il parcourt d'un regard inquiet l'obscurité du hall d'entrée et du salon attenant.
GIORGIO (mururant) Docteur Degrâce?!
Revenant vers l'escalier, Giorgio remarque, à la lueur de sa flamne, des traces de neige fondue qui maculent les marches jusqu'en haut. Il remonte l'escalier ...
88 INT, NUIT / ORPHELINAT COULOIR
Giorgio s'approche de la porte entr'ouverte de la chambre des époux Degrâce. Il la pousse et allonge le bras pour faire pénétrer dans la pièce la lumière de sa lampe.))
89 INT. NIT / ?ORPHELINAT / CHAMBRE DES ÉPOUX DEGRACE (VUE DE LA PORTE)
Le lit est vide et parfaitement fait. Le chapeau du docteur Degrâce est posé sur l'oreiller..
((90 IN ORPHELINAT COULOIR
En refermant la porte de la chambre des époux Degrâce, Giorgio remarque une faible lueur qui filtre d'une autre porte entr'ouverte. il s'y dirige...))
9 1. INT. NUIT ORPHELINAT SALLE DE BAINS
Giorgio entre et avance vers une grande baignoire de cuivre au-dessus de laquelle trône une bougie allumée. Giorgio pose sa lampe puis se penche sur la baignoire, laquelle est remplie d'eau à ras bord. Il scrute l'eau en plissant les yeux, comme s'il y apercevait quelque chose ... Sans remonter les manches de son manteau, il plonge les deux bras dans l'eau. Il ressort brusquement une main de la baignoire: deux de ses doigts sont égratignés et saignent ... Giorgio replonge ses mains dans la baignoire. Il en ressort lentement la tête du grand Christ de plâtre, dégoulinante d'eau ...
92 INT. / NUIT ÉGLISE
Les chaises et les prie-Dieu ont retrouvés leur place. Tout est en ordre dans l'église. Giorgio traverse à pas feutrés l'allée centrale, sa sacoche de cuir noir à la main. Il jette des regards furtifs à droite et à gauche, comme s'il avait peur d'être surpris, en se dirigeant vers le chœur. Giorgio s'arrête devant l'autel sur lequel il dépose sa sacoche. Après avoir jeté un ultime coup d'œil derrière lui, il ouvre la sacoche et en extrait la tête du Christ. Il la pose délicatement sur un petit plateau d'argent, sur l'autel. Puis il referme sa sacoche, en prenant bien soin de ne pas en faire claquer les fermoirs métalliques. Giorgio reprend sa sacoche et quitte l'autel, en faisant quelques pas à reculons, les yeux posés sur le grand Christ décapité. A droite de l'autel, on remarque que tous les cierges des "hommes,, sont rallumés. Alors que Giorgio se retourne pour repartir vers la sortie, son regard se bloque brusquement sur quelque chose. Il se fige. Ce qu'il voit le terrifie: Entre deux colonnes, dans l'ombre du coin aménagé pour l'école, se dessine une petite silhouette d'enfant, portant pèlerine et béret. Le petit corps est debout, tourné vers lui, immobile. Giorgio ne peut pas détacher ses yeux de la silhouette. Comme hypnotisé, il avance lentement vers elle, traversant une rangée de chaises et de prie-Dieu. Des gouttelettes de sueur perlent sur son front. Il retient son souffle La petite forme ne bouge pas
Giorgio s'arrête à un mètre d'elle. Il s'apprête à parler, mais sa bouche reste entr'ouverte sans qu'aucun mot ne sorte. Il s'essuie le front d'un revers de main et sort de sa poche un sucre d'orge. Lentement, il avance le sucre d'orge en direction de l'enfant dont le visage est toujours dans l'ombre. L'enfant fait un pas vers Giorgio, découvrant son visage. Giorgio lâche un sourire de soulagement. Il lui tend le sucre d'orge ...
L'ENFANT
Si tu m'en donnes un deuxième, je dirai rien pour la tête.
Il sort un deuxième sucre d'orge de sa poche et les donne tous deux au petit garçon qui les prend. A cet instant, un sifflement traverse l'église:
UN DEUXIÈME ENFANT (off) Pssst! ... Eh, Raoul!
Le petit garçon quitte aussitôt Giorgio et traverse le chœur en courant, pour disparaître par la petite porte donnant sur le cimetière. Giorgio hésite un instant, puis se dirige son tour vers la petite porte ...
93 EXT, LEVER DU JOUR CIMETIÈRE
Un faible soleil hivernal commence à poindre sur l'horizon enneigé. Le vent du matin fait hurler les loups. Giorgio, sa sacoche à la main, sort de l'église par la petite porte donnant sur le cimetière: ... Dissimulés derrière des tombes, quatre jeunes garçons, dont Raoul, guettent quelque chose, le visage tourné vers l'horizon. Giorgio, intrigué, arrive derrière l'un deux.
GIORGIO (tout bas) Qu'est-ce que vous regardez?
JOSEPH Chut! Baisse-toi.
Giorgio s'accroupit derrière une tombe en regardant dans la même direction que les enfants. Au bout du cimetière, avant la plaine, la tombe aux douze petites croix se profile sur l'horizon désert. Les enfants continuent de se faufiler à travers les tombes en se cachant derrière les pierres et les croix...
JOSEPH Tu les vois, Raoul?
RAOUL Ouais, ça y est!
Le plus petit des enfants écarquille les yeux, fasciné:
LE TOUT PETIT (dans un chuchotement) oh Putain!
Giorgio se faufile à son tour parmi les tombes, à la suite des enfants.
GIORGIO (à Raoul) Pssst! Qu'est?ce que c'est?
RAOUL Les loups!...
GIORGIO Où ça?
RAOUL Là-bas, sous le soleil, tout au bout ... Y' en a au moins cent!
Giorgio plisse les yeux pour mieux sonder l'horizon, mais il ne voit rien. ... L'horizon est toujours désert.
RAOUL C'est dingue, ils étaient jamais venus aussi près!
LE TOUT PETIT C'est vrai: quand je suis arrivé, y'en avait un énorme sur la tombe des petits merdeux! Putain! Il avait des yeux tout jaunes et il bavait! Si ça s'trouve il a sorti un os ...
RAOUL Dis pas de conneries!
LE TOUT PETIT Putain, vas-y voir si, tu me crois pas!
RAOUL Pourquoi moi?! Vas-y toi même!
LE TOUT PETIT Trouillard!
JOSEPH (à Raoul) Il a raison, t'es un trouillard!
Raoul se tourne vers Giorgio:
RAOUL (tout bas) vous voulez pas y aller voir, vous?
Amusé, Giorgio acquiesce. Il se lève et marche vers la tombe des enfants morts ...
LE TOUT PETIT (à Raoul) Trouillard!
Giorgio s'arrête devant la tombe aux douze croix. Brusquement son visage se fige: ... Sur le dessus de la tombe, entre les croix, l'empreinte d'une patte de loup se dessine dans le neige... Giorgio se penche lentement, effleure la trace du doigt puis sourit, incrédule:
GIORGINO Non... vous me faites marcher! C'est vous qui l'avez faite!?...Il n'y en aurait pas qu'une! ...
Il se redresse en se retournant vers les enfants, et perd son sourire: ... Les enfants ont disparu. Giorgio tourne la tête pour apercevoir deux petites silhouettes qui finissent de s'échapper du cimetière en sautant par dessus le muret.
LE PRÊTRE (off) Je me demandais bien qui était dans le cimetière à cette heure?là!
Le prêtre s'avance vers Giorgio ...
LE PRÊTRE Comment va la petite?
GiORGIO Ca va.
Le prêtre arrive à hauteur de Giorgio et les deux hommes se serrent la main:
GIORGIO
Bonjour, mon père.
LE PRETRE Par contre, vous, vous n'avez pas bonne mine ... Vous êtes souffrant?
((GIORGIO Non, non...))
Giorgio fait quelques pas, accompagné par le prêtre.
GiORGIO J'ai réfléchi, mon Père, je vais emmener la petite Catherine ...
LE PRETRE A Ste Lucie?
GIORGIO Non, je vais partir avec elle,
Un silence. Le prêtre reste sidéré.
LE PRETRE vous allez l' "adopter" ?
GIORGIO ... L'épouser!
LE PRETRE L'épouser? Mais vous n'y pensez pas. C'est une enfant!
GIORGIO (déterminé) Je vais l'épouser.
Le prêtre se met à boitiller nerveusement autour de Giorgio:
LE PRETRE Mais ... et le deuil ... le deuil ... vous avez pensé au deuil?
(on perçoit le lointain écho de cloches qui sonnent à toute volée)
GIORGIO Nous attendrons
LE PRETRE Et elle, qu'est-ce qu'elle en dit?
GIORGIO Je ne lui ai pas encore parlé.
Le prêtre s'arrête, dos tourné à Giorgio.
LE PRETRE Faut que je réfléchisse...(se retournant vers Giorgio:) Vous ne l'avez pas touchée au moins?
Giorgio fait "non" de la tête.
LE PRETRE Quand comptez-vous partir?
GIORGIO Demain nous ne serons plus l'a.
LE PRETRE ... Bon ... Bon ... Faut que je réfléchisse. A vrai dire, cette histoire, ça m'étonne et puis ... je le savais quand même!
Ramené par le vent, le tintement des cloches s'amplifie ... Le prêtre tend 1'oreille:
LE PRETRE Vous entendez?
GIORGIO Quoi?
LE PRETRE Les cloches... Qui c'est qui s'amuse à sonner les cloches le jour de la St Christian ... ? (Dans le film le prêtre parle de la Saint René.)
94 EXT. PETIT MATIN / ROUTE CIMETIÈRE- ÉGLISE
Une grosse paysanne à la poitrine opulente court à perdre haleine, une hache à la main. (Ses halètements rauques se mêlent au lointain tintement des cloches.) Elle est en nage, hagarde. Ses seins nus sous une chemise à moitié ouverte battent son torse au rythme de ses pas ... Elle passe à toute allure devant le cimetière et sans s'arrêter tourne la tête vers les silhouettes du prêtre et de Giorgio, plantés au milieu des tombes:
LA GROSSE PAYSANNE (criant) La guerre est finie depuis hier! ... La guerre est finie depuis hier!
Les silhouettes des deux hommes se tournent vers elle. La femme poursuit sa course effrénée, dépassant l'église ...
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