GIORGIO marie! Où est-elle?
Marie, ivre morte, lui sourit sans rien dire. Dans l'hystérie générale, Giorgio arpente 1a salle, légèrement titubant, scrutant les tables... ((Marthe est assise à côté de la Mère Pétaud et lui raconte à l'oreille des chose qui la font rire ...))
106 EXT. NUIT LA PLACE CHANTELOUP
Giorcio traverse la place enneigée d'un pas maladroit. Catherine est affalée sur le bord de la fontaine, un bras pendant dans l'eau. Giorgio se penche vers elle et la relève.
((GIORGIO venez, Catherine, nous partons.
Catherine, le visage et les cheveux mouillés, le contemple, hagarde.
GIORGIO ... marie nous rejoindra plus tard.
Il 1'enveloppe de son manteau et, la soutenant, s'éloigne avec elle ...
UNE FEMME (off) Les enfants! où sont les enfants? (appelant) Raoul! Joseph! Revenez, il est tard!))
107 EXT. NUIT / ROUTE CIMETIÈRE- ÉGLISE
La carriole roule à vive allure. Catherine, recroquevillée dans le grand manteau de Giorgio regarde droit devant elle. A ses côtés, Giorgio conduit le cheval en serrant nerveusement les rênes.
GIORGIO (grave) il s'est passé quelque chose de terrible, Catherine ... C'est une malchance mais on vous accusera ...
Catherine, mutique, resserre sa main sur le manche d'une cravache posée à côté d'elle ...
GIORGIQ ... Je vous emmène à Paris...
Brusquement Catherine fouette Giorgio d'un coup de cravache en plein visage. Lâchant les rennes, Giorgio porte les mains à ses yeux. (Dans le film Catherine donne des gifles à Giorgio et non pas des coups de cravache). Catherine saute de la carriole, tombe sur la route et roule dans la neige ... La carriole poursuit son chemin durant une dizaine de mètres, puis le cheval rue et s'arrête. Giorgio descend précipitamment de la carriole.
((GIORGIO (hors de lui) Sale petite conne!))
Plus loin sur la route, Catherine se relève. Elle franchit le fossé et s'éloigne en courant à travers les arbres ...
GIORGIO (criant) Catherine! Catherine!
Il se jette à sa poursuite ... Au milieu de la route, accroché à la carriole, le cheval essoufflé renâcle en crachant de la fumée par les naseaux.
108a EXT. NUIT / LES MARAIS
Giorgio court à travers les arbres, à la poursuite de Catherine.
GIORGIO Catherine! Arrêtez ! ... Mais qu'est-ce que je vous ai fait, bon Dieu!
A bout de souffle, Giorgio s'arrête pour prendre appui contre un tronc. Catherine s'arrête quelques mètres devant lui et se retourne:
CATHERINE Vous voulez m'emmener à Ste Lucie parce que je ne suis pas comme les autres...(sa voix se brise dans les larmes:) Et parce que vous pensez que j'ai tué les enfants!
GIORGIO Non, Catherine, jamais je ne ferais une chose pareille!
CATHERINE Menteur! Tout le village le sait!
Elle repart en courant.
GIORGIO Non! Non, Catherine!
CATHERINE (courant) Partez! Allez vous en !
Catherine disparaît dans une nappe de brume. Giorgio court à travers la végétation dense et morte des marécages. Les branchages le fouettent. Le brouillard se fait plus épais au fur et à mesure qu'il avance.
GIORGIO (appelant) Catherine! Catherine!
Giorgio s'arrête: Devant lui, Catherine entre dans une étendue d'eau noire ou flottent des îlots de glace. Giorgio se précipite jusqu'à la berge.
GIORGIO Catherine, mais qu'est-ce que je vous faites?! Revenez!
Catherine est dans l'eau jusqu'à mi-cuisse. Elle continue d'avancer sans se retourner, s'enfonçant lentement.
CATHERINE Je ne les ai pas tués! ... C'est les loups qui les ont tués!
Giorgio se précipite dans l'eau:
GIORGIO (hurlant) Revenez, Catherine, je vous crois! Je vous crois!
Catherine s'arrête. Puis elle se retourne. Giorgio avance vers elle en lui tendant les mains.
GIORGIO (à bout de souffle) ... Je vous aime.
Catherine, grelottante, prend les mains de Giorgio. Giorgio l'attire aussitôt à lui et la serre dans ses bras.
GIORGIO (claquant des dents) ... Je vous aime ...
(Dans le film cette scène fait l'objet d'une dramaturgie bien plus appuyée, toute une partie de la scène est consacrée à la glace qui craque sous les pieds de Catherine.) Giorgio prend Catherine dans ses bras et la porte vers la berge. La jeune fille est tremblante et terrifiée. Giorgio la dépose sur le sol.
CATHERINE (grelottante) Il v avait des milliers de loups ... Ils avaient des yeux jaunes qui brillaient et ils montraient les dents en riant ... Giorgio serre Catherine contre lui pour la réchauffer. Il lui caresse les cheveux.
GIORGIO je vous crois.
CATHERINE Les enfants se sont mis à courir au milieu de la mare et la glace a cassé. Ils criaient dans l'eau ... et moi j'avais peur ... je me suis cachée dans un arbre ... Au village, elles ont toutes dit que c'était moi, mais c'était les loups, je le jure! Giorgio l'embrasse ... Catherine se décolle des lèvres de Giorgio et le regarde tristement dans les yeux.
CATHERINE C'est vrai?
GIORGIO Quoi?
CATHERiNE ... Que vous m'aimez?
Giorgio embrasse à nouveau Catherine. Elle l'enlace. Leur baiser se prolonge ... Leur étreinte se fait plus violente ... ils glissent lentement jusqu'au sol, s'allongeant sur la neige, tout au bord de 1'eau.
CATHERINE (clans un soupir) ... J'ai froid ...
Catherine arrache les boutons de sa robe, dénudant sa poitrine.
CATHERINE ... je voudrais être nue contre vous.
GIORGIO moi aussi.
Giorgio lui embrasse le cou. Une émotion intense marque le visage de Catherine. Elle crispe ses mains dans les cheveux de Giorgio. Puis elle renverse sa tête en arrière, en fermant les yeux, les lèvres tremblantes. Son soupir se fait plus fort. Ils s'embrassent ... une cuisse émerge de la robe mouillée. Giorgio la caresse ... De légers gémissements s'échappent de la bouche de Catherine ... Leurs corps se crispent avec violence. Brusquement, Catherine rejette son visage en arrière et pousse un hurlement d'effroi. Giorgio a à peine le temps de redresser la tête que Catherine le repousse de ses deux mains, de toutes ses forces. Projeté sur le côté, Giorgio bascule dans l'eau. Catherine gémit. Elle se relève en haletant, le regard hypnotisé par sa main tachée d'un peu de sang. Dans le marais, Giorgio suffoque. Saisi par l'eau glacée, il cherche sa respiration en faisant des mouvements désordonnés, les yeux écarquillés sur Catherine: Penchée au-dessus de l'eau, la robe à moitié ouverte, Catherine se tient le bas-ventre, terrifiée, tendant sa paume ensanglantée en direction de Giorgio. Elle pleure des gémissements en tremblant de tout son corps. Puis elle s'enfuit et disparaît dans l'obscurité. Giorgio parvient à se redresser. Il a de l'eau jusqu'à la poitrine. Il avance vers la berge, la main tendue pour agripper une racine quand, subitement, comme aspiré par le fond, il disparaît entièrement sous l'eau. Quelques secondes s'écoulent avant qu'il n'émerge à nouveau. Suffocant, il saisit une racine et se tire hors de l'eau. Il rampe dans la neige jusqu'à son manteau demeuré étendu sur la berge et, frigorifié, s'en enveloppe. Il sort d'une poche intérieure sa fiole à alcool et boit.
108C ... Courbé, les poings serrés sur le col de son manteau, les sourcils et les cheveux givrés, Giorgio avance droit devant lui à travers la végétation noire et gelée. Il bute, tombe, se relève. il tourne sur lui-même, cherchant un point de repère dans la brume: la nature est la même partout, labyrinthique et hostile ... Le vent souffle. Giorgio hurle pour se tenir éveillé:
GIORGIO J'ai froid! ... lion de Dieu que j'ai froid!!!
Il boit de nouveau à sa fiole. Une voix de femme se fait entendre dans un tourbillon de vent:
UNE VOIX DE FEMME (appelant) George! George, ou c'est que t'es?...Faut pas aller vers les marais, y' a des âmes! George!
GIORGIO (sans voix, tournant sur lui-même) Il y a quelqu'un?
Dans la brume, devant Giorgio, se dessine une petite silhouette portant un chapeau et tenant une lanterne. Giorgio s'en rapproche: C'est le petit garçon au visage monstrueux, celui qui avait ramassé son chapeau sur la route. vêtu d'un petit costume noir, il regarde fixement Giorgio, de son visage sans expression. Giorgio tend la main vers l'enfant:
GIORGIO Tu... tu peux me rendre mon chapeau?
L'enfant ne bronche pas.
GIORGIO ... Je te le rendrai, je veux seulement la carte qui est à l'intérieur ... parce qu'il faut que je parte, tu comprends? Donne-le moi....
L'enfant continue de le fixer, mais des larmes s'échappent de ses yeux et glissent le long de grosses joues.
GIORGIO D'accord... garde le ... mais ne pleure pas ... ne pleure pas, c'est pas grave, je te le donne..
LA VOIX DE FEMME (appelant) George! George!!!
L'enfant monstrueux se retourne et s'éloigne à petites foulées maladroites pour disparaître à travers la brume ...
GIORGIO (d'une voix blanche) Attends, petit ... attends moi
Giorgio reste un instant immobile, sans force, fouetté par le vent. Il boit un peu d'alcool à sa fiole. Puis il se remet à marcher en chantant...
GIORGIO (chantant) La madelon vient nous servir à boire ... (etc... ) (Dans le film Giorgio entonne Do ré mi fa sol toutes les femmes sont folles.) Sa silhouette se perd progressivement dans la brume.
GIORGIO (off, chantant) ... relève ses jupons ...
On entend alors un bruit de glace qui casse et le "plouf" d'un corps qui tombe dans l'eau. Le long hurlement d'un loup résonne dans le vent ...
109 EXT. JOUR / LES MARAIS
Un léger brouillard glisse sur les marécages gelés. Les oiseaux chantent. On entend quelques bruits de pas alertes dans la neige, quelques bruits de branches cassées. De petites ombres traversent rapidement la brume... Puis on entend des voix d'enfants qui chuchotent:
JOSEPH (off) Eh! Venez voir!
LE PETIT GROS (off) Où ça?
JOSEPH (off) Là, près de l'arbre, y' a un soldat mort!
LE TOUT PETIT (off) Putain, c'est vrai, merde alors!
LE CHEF (off) C'est pas un soldat, c'est le docteur ...
Cinq enfants avançant à pas de loup surgissent de la brume et s'arrêtent devant un arbre.
((LE PETIT GROS Eh, regarde, les loups y ont mangé une jambe!
LE TOUT PETIT
Comme au curé ... Putain!
Recroquevillé au pied de l'arbre, Giorgio est immobile, gelé, à moitié recouvert de neige. L,une de ses jambes semble coupée à mi-cuisse. Son visage est violacé, ses cils, ses sourcils et ses cheveux sont couverts de givre, ses paupières fermées ...))
RAOUL (au chef) Arrache lui l'œil, on le donnera à mon grillon!
LE CHEF (à Raoul) T'e même pas cap de lui ouvrir la bouche et de lui arracher la langue!
((RAOUL Alors là, tu vas voir! ...
Raoul se penche sur le corps de Giorgio et lui appuie sur le menton pour lui ouvrir la bouche. En vain.
RAOUL ... Eh, on peut pas, il est tout gelé!))
LE PETIT GROS Si on lui regardait la bistouquette?!
JOSEPH Oh l'autre, eh! Il est comme son père ... Tu sais ce qu'y fait son père? Y paraît que son père, à la guerre, y touche la bistouquette des autres!
LE PETIT GROS C'est pas vrai! ... J' lui dirai quand il va rentrer, et tu vas voir ce ce qu'il va te faire!
LE CHEFArrêtez, j'ai une idée! on va l'emmener sur la route et on attendra qu'une carriole le coupe en deux pour voir comment c'est fait dedans!
LE TOUT PETIT Oh ouais, putain!
LE CHEF Passe ta ficelle, Joseph!
Joseph sort de sa culotte une épaisse ficelle qu'il donne au chef. Celui-ci enroule la ficelle autour du cou de Giorgio et fait un nœud. Puis il tire le corps de Giorgio par la ficelle. ((Les doigts de Giorgio se rétractent doucement dans la neige.))
LE CHEF La vache, il est lourd! Venez m'aider les gars!
joseph et Raoul viennent aider le chef à tirer Giorgio par la ficelle. Ils tirent fortement, à trois reprises, avant que le corps ne se dégage de la neige et glisse sur le dos. ((La jambe de Giorgio que l'on croyait coupée émerge de la neige.
LE TOUT PETIT T'as vu, les loups ils en ont pas voulu de sa jambe!
LE PETIT GROS (poussant méchamment le tout petit) Ta gueule, toi!))
Tiré par le cou, Giorgio avance sur la neige en glissant sur le dos. Ses mâchoires sont serrées, son cou contracté, ses paupières légèrement entr'ouvertes ...
110. EXT. JOUR / ROUTE
Après avoir péniblement franchi un fossé, les enfants allongent Giorgio en travers d'une petite route.
LE CHEF Mettez-y un peu de neige pour pas qu'on le voit!
Joseph dissimule le corps de Giorgio sous un peu de neige. Avant d'ensevelir la tête, il récupère sa ficelle.
LE CHEF venez les gars, on se planque!
Ils courent tous se cacher dans le fossé quand Raoul se ravise et retourne vers Giorgio en sortant un petit canif de sa poche:
RAOUL Attendez! Je vais quand même y couper un doigt!
Raoul vient s'agenouiller devant le corps. Il dégage une main et l'applique bien à plat sur la neige. Il écarte l'index des autres doigts. Il jette un coup d'œil alentour puis pose la lame de son canif sur le doigt de Giorgio ... La bouche de Giorgio émerge légèrement de la neige. Ses lèvres se contractent imperceptiblement, comme s'il essayait de parler. Un son presque inaudible s'échappe de sa gorge ... Raoul remue de tout son corps en s'appliquant à cisailler le doigt, de son petit couteau. Il est brusquement interrompu par le son d'une carriole qui s'approche.
LE CHEF (off) Attention, v'là la mère Pétaud! Planque toi, Raoul!
Raoul abandonne aussitôt le doigt entaillé pour se jeter dans le fossé avec les autres ... Sur la carriole qui approche, on reconnaît la mère Pétaud en train de discuter avec Marthe. Elles laissent aller le cheval sans regarder la route. La carriole se rapproche ... A l'ultime instant, Marthe désigne du doigt le petit monticule de neige qui couvre Giorgio. La mère Pétaud freine le cheval en lui faisant faire un écart. La carriole s'arrête et les deux femmes regardent... Dans le fossé, les cinq visages d'enfants observent, l'air navré.
LE TOUT PETIT (conssterné) Putain, elles l'ont vu!
11la INT. JOUR / AUBERGE - CHAMBRE
Les rideaux sont tirés, laissant pénétrer une très faible lumière. On entend, venant de l'extérieur, la comptine que chantonnent les enfants:
LES ENFANTS (off) "Do, ré, mi, fa, sol, Toutes les femmes sont folles, Excepté ma bonne, Qui fait des tartes aux pommes" (Ad.Lib.)
Assise sur le bord du lit, l'aubergiste tient collé contre son sein le visage pâle et inerte de Giorgio. Giorgio est couché sous un gros édredon, le cou emmitouflé d'une écharpe de laine noire. L'aubergiste se balance doucement en caressant les cheveux de Giorgio.
L'AUBERGISTE (tout bas, berçant Giorgio) C'était le fils à sa maman qui avait failli mourir ... Pauvre petit chou ...
Elle lui embrasse tendrement le front.
L'AUBERGISTE ... Mais c'est fini maintenant, on est revenu de la guerre ...
111b UN FLOU...
on retrouve la bonne penchée sur le visage de Giorgio. Elle pleure à chaudes larmes en expliquant à Giorgio quelque chose que nous n'entendons pas. Enfoncé dans son lit, Giorgio a les yeux grand ouverts sur marie mais ne semble pas la voir ...
111c UN FLOU ...
112 INT, NUIT / LA CHAMBRE
A la lueur d'une bougie, l'aubergiste, assise sur le rebord du lit, nourrit à la cuiller Giorgio hagard. Sa bouche tremblante a du mal à saisir la nourriture. L'aubergiste lui parle avec de grands sourires mais nous n'entendons rien...
UN NOIR
113 INT, JOUR / LA CHAMBRE
(on entend le son lointain d'un tambour militaire qui va monter crescendo durant toute la scène ... Giorgio dort. Son front est humide. La porte de la chambre grince. Giorgio ouvre brusquement les yeux et se redresse péniblement dans le lit: debout dans 1'entrebaillement de la porte, la petite Poulette le regarde fixement...
GIORGIO (la voix cassée) Qu'est-ce qu'on entend ? ...
La petite Poulette s'enfuit. ((Dans un terrible effort, Giorgio repousse l'édredon et s'assied sur le lit. Il se lève en s'accrochant à la table de chevet. Il porte une longue chemise de nuit de drap blanc. Pour mieux respirer, il desserre légèrement l'écharpe de laine noire nouée autour de son cou ... En se tenant au mur, Giorgio se dirige maladroitement vers une commode sur laquelle repose sa sacoche de cuir noir. Arrivé à la commode, il ouvre sa trousse. Puis il redresse lentement la tête vers le miroir qui lui fait face ...)) Il reste un instant à contempler son visage fatigué avant de porter les deux mains à son écharpe qu'il dénoue doucement. Son visage marque l'effroi. Sous son menton relevé, une trace violacée, lui enserre le cou, laissée par la ficelle des enfants ... (Le son du tambour est devenu très présent) ...
114 EXT. JOUR / PLACE DE CHANTELOUP
Au son du tambour, un soldat avance, ((dos à nous)), vers la place du village. Sa démarche est particulièrement raide. Son cou est maintenu par une minerve. Le prêtre est à ses côtés, le soutenant par le bras. Sortant des maisons, émergeant de part et d'autre de la place, des femmes accourent dans leur direction... L'aubergiste, bouleversée, vient se jeter dans les bras du soldat: nous reconnaissons alors Marcel son fils, le soldat de la photo qui était dans l'auberge. Son visage est vide de toute expression tandis que sa mère le couvre de baisers. Seule sa bouche tremblante traduit son émotion... Les femmes encerclent la mère et le fils. Elles exultent ... Brusquement, une femme perd son sourire ... puis une autre ... puis encore une autre ...Le Prêtre croise le regard d'une femme. Il baisse les yeux. Une femme se met à hurler, une autre couvre son visage de ses mains ... Le visage tragique, les femmes reculent lentement, les yeux braqués sur la route, derrière Marcel: un cortège de charrettes portant des cercueils approche de la place. Les chevaux sont conduits par des militaires. En tête du convoi, un soldat roule du tambour. Il est suivi du maire de Ste Lucie, bardé de son écharpe tricolore, accompagné d'un petit homme à moustache ...
115 INT. JOUR, AUBERGE, CHAMBRE DE GIORGIO
Derrière sa fenêtres, Giorgio observe, collé au carreau, vêtu de sa chemise de nuit blanche. Il respire difficilement et s'accroche à la poignée de la fenêtre pour ne pas perdre l'équilibre ...
116 EXT. JOUR / PLACE DE CHANTELOUP
Une quinzaine de cercueils sont maintenant alignés sur la place. Dans un silence de mort à peine troublé par des gémissements et des larmes les femmes sont attroupées devant le maire, son adjoint, le prêtre, et les soldats qui conduisaient les carrioles. Quelques enfants sont présents, que les femmes serrent contre elles.
LE MAIRE (lisant) Lucien Berrier ...
L'ADJOINT & LES SOLDATS (en chœur) Mort pour la France!
Après chaque nom épelé par le maire, son adjoint et les soldats crient "Mort pour la France"...
LE MAIRE Jules Chambois... Gaston chemin... Henri, Fernand, Maurice et Jean Couillard ... André Forestier ... Benjamin Fessard... Julien Ferrauge ... Jules Galopin... martial Grandjean ...
A l'appel des noms, des femmes crispent davantage leur visage, serrent les dents, fondent en larmes. L'une d'elles s'effondre dans la neige ... Des enfants pleurent ...
LE MAIRE (suite) Roger ...
Le maire interrompt sa lecture, gêné par quelque chose et se tourne vers son adjoint pour lui parler à l'oreille. .L'homme à la petite moustache hausse les épaules en répondant tout bas au maire.
LE MAIRE (reprenant dans un toussotement) ... Roger Lapierre, porté disparu ...
Une femme croise les mains et lève les veux au ciel, l'air soulagé et plein d'espoir ... Un silence ...
... Les soldats ne répondant pas et le maire n'enchaînant pas, l'adjoint se tourne vers le groupe de militaires et leur fait signe d'intervenir.
LES SOLDATS ... Mort pour la France!
LE MAIRE (suite) Emile Pétaud ... François Tourrel ... Henri vannepain ...
Lorsque le nom de Pétaud est prononcé, la mère Pétaud referme les mâchoires sur sa pipe qui se brise ...
Une femme sort du groupe en hurlant et se jette sur un cercueil:
MADAME FERRAUGE C'est pas mon Julien qu'est là-dedans! ... C'est pas mon Julien! C'est pas possible! ... J'veux le voir, ouvrez-moi ça!
Un soldat se détache des autres et s'avance vers madame Ferrauge:
LE SOLDAT (relevant la femme) Madame, je vous en prie, il ne faut pas ouvrir ... C'est pas beau à voir ... Là-bas, dans les Balkans, les loups les ont ... enfin, ils ont mutilé les cadavres ...
117 INT, JOUR / AUBERGE - CHAMBRE
Giorgio est assis au bord de son lit. La main tremblante, il fait gicler un peu du produit contenu par sa seringue. Puis il se pique ...
LE PRÊTRE (off) "...Les enfants de ce siècle prennent des femmes et des maris; mais ceux qui seront trouvés dignes d'avoir part aux siècles à venir et à la résurrection des morts ne prendront ni femme ni mari...
118 EXT. JOUR PLACE DE CHANTELOUP.
Derrière les cercueils, face à l'assemblée des femmes, le prêtre poursuit la lecture de la Bible:
LE PRÊTRE (suite) ... car ils ne pourront plus mourir ...
UNE FEMME (à voix basse, haineuse) Menteur!
LE PRETRE (suite) ... parce qu'ils seront semblables aux anges, et qu'ils seront fils de Dieu, étant fils de la résurrection ...
UNE FEMME (plus fort que la première) Menteur!
A partir de cet instant, les femmes se mettent, l'une après l'autre, à lancer des "menteur! menteur!". le prêtre s'interrompt un instant puis se force à poursuivre sa lecture, les yeux accrochés à sa Bible:
LE PRETRE (élevant la voix) Que les morts ressuscitent ... Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants ...
Les femmes crient "menteur" de plus en plus fort.
LE MAIRE (sidéré) mesdames, je vous en prie!
L'un des enfants, Raoul, ramasse un caillou et l'enveloppe dans une boule de neige ...
LE PRETRE (suite) ... car pour lui, tous sont vivants ... Quelques-uns des scribes prirent les paroles dirent...
Le prêtre reçoit la boule de neige dans la figure. Le caillou lui ouvre l'arcade sourcilière. Le maire fait un signe à son adjoint. Ce dernier se tourne vers une petite table où est disposé un gramophone. Il en remonte la manivelle. Les femmes continuent à scander des "Menteur, menteur". Le prêtre reprend, en essuyant d'un revers de main le sang qui lui coule sur le visage:
LE PRETRE (d'une voix chevrotante) ... "Maître, tu as bien parlé" ... Et ils n'osaient plus lui faire aucune question...
Le gramophone se met en route, diffusant une interprétation lyrique de "La Marseillaise" chantée par une femme. Les soldats se mettent aussitôt au garde-à-vous. Marcel les imite, raidi par sa minerve. Les femmes se taisent. Le prêtre referme sa Bible, le visage ensanglanté tourné vers le sol. ((Pendant que s'écoule l'hymne national, la longue femme maigre, légèrement à l'écart, se met à onduler du bassin. Elle se laisse tomber dans la neige en gémissant faiblement et se tortille comme une anguille, les yeux tournés vers le ciel.))
UNE FEMME (hurlant par dessus la Marseillaise) Tout ça, c'est la faute à 1a salope qui a soufflé les cierges!
Un caillou vient s'écraser sur le gramophone, brisant le disque. Un brouhaha se met à agiter l'assemblée des paysannes:
LES PAYSANNES (en furie) maudite putain! C'est le curé qui l'a protégée! Sale corbeau!
Le Prêtre tombe à genoux dans la neige.
LES PAYSANNES ? (hystériques) Qu'elle crève, ... Moi j'y vais, chez la folle! ...Je t'accompagne! ... moi aussi! ...Je vais la tuer moi-même! ... Pas tout de suite, faut d'abord qu'elle paye, tu vas voir ce qu'on va y faire!
Marthe en tête, les femme commencent à quitter la place ...
LES PAYSANNES (suite) ... (une femme, pleurant:) ... Moi, j'veux pas qu'on enterre mon Fernand à côté de la mère de cette pourriture! (une autre, haineuse) T'en fais pas, tu vas voir ce que j' vais y faire à la tombe de sa mère!...
119 INT. JOUR. AUBERGE / CHAMBRE
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